Mort d'un soldat républicain, © Robert Capa

Cette photo qui "tue" pourrait être celle d'un soldat républicain fauché par un tir isolé durant la Guerre d'Espagne. L'auteur n'est autre que Robert Capa, grand photographe reporter dont la renommée s'est construite sur des clichés chocs dont certains restent sujets à polémique. C'est le cas de Mort d'un soldat républicain prise le 5 septembre 1936.

Fauché en plein vol par une balle tirée de face, ce milicien républicain a été identifié en août 1996 comme étant Federico Borell Garcia, un militant anarchiste d'Alcoy, une commune de la province d'Alicante. Ce cliché, symbole de la Guerre d'Espagne, deviendra sujet à polémique. Robert Capa serait d'ailleurs coutumier du fait, une tendance à la mythomanie révélée déjà lors du Débarquement de Normandie où envoyé par le magazine Life le 6 juin 1944, il déclare avoir pris cent dix-neuf photos. Cent huit d'entre elles auraient été détruites involontairement en laboratoire sous l'effet conjugué d'un taux trop fort de chaleur et d'humidité. Selon des témoignages de vétérans, le photographe ne serait pas resté plus d'une demi-heure dans l'eau contrairement aux quatre-vingt minutes qu'il affirme mordicus, sachant qu'il n'était pas contre un peu de romance dans l'anecdote, dans son autobiographie Juste un peu flou. La panique, le fracas des obus, la violence des combats auraient eu, selon ces nombreux témoignages, raison de ses nerfs malgré son aplomb légendaire à affronter le danger.

Une réputation qu'il s'était déjà forgée durant la Guerre d'Espagne. Epicurien, charmeur, joueur, flambeur, ce jeune photographe apatride, émigré hongrois, juif errant en escale un temps à Berlin pour se poser aux Etats-Unis, adopte une attitude de casse-cou - Si la photo n'est pas bonne, c'est que tu n'étais pas assez près - affirmait-il un rien fougueux. A peine 25 ans, et le voilà intronisé en décembre 1938 comme "le plus grand photographe de guerre au monde" par la célèbre revue Picture Post. Deux ans plus tôt, le 23 septembre 1936 exactement, le magazine Vu publie Mort d'un soldat républicain, cliché racheté par Life le 12 juillet 1937 et devenant pour le coup une image culte de la Guerre d'Espagne. Pour le jeune et intrépide Robert Capa, c'est la consécration. La genèse officielle de cette photo veut que le photographe suivant depuis trois mois une vingtaine de miliciens républicains se soit retrouvé sous le feu nourri des troupes de Franco. Un premier assaut fut donné et s'avéra tragique pour ses camarades de tranchée. Il prit part à la deuxième attaque. La panique au ventre, il plaça son appareil au-dessus de sa tête et flasha à la volée tout ce qu'il put. Sans réel espoir, il envoya la pellicule, qu'il jugeait gâchée, au labo. L'histoire en décida autrement.

Robert Capa © Gerda Taro

Les premiers doutes sur cette photo-culte, symbole de la Guerre d'Espagne, remontent à 1975 lorsque le journaliste et historien britannique Philipp Knightley soutien que ce cliché n'est qu'une vulgaire mise en scène. La presse commence à s'emballer. Robert Capa, un imposteur ? Le milieu du photojournalisme jase. Certains irréductibles estiment toutefois que la photo est authentique. La polémique reprend en 2004 avec un Patrick Jeudy vindicatif affirmant dans son documentaire Robert Capa, l'homme qui voulait croire à sa légende que le célèbre cliché n’a pas été pris sur le champ de bataille de Cerro Muriano mais à proximité d’Espejo, un autre jour. D'autant plus que la disparition de la planche contact et du négatif est restée une énigme tout autant que la discrétion de Capa à ce sujet. Le quotidien catalan El Periodico affirme également en juillet 2009 que le milicien aurait été photographié dans un endroit où il n'y avait pas de combat. Certains détracteurs de l'authenticité de cette photo auraient même supposé qu'il aurait été responsable de la mort du soldat, qui selon eux était  en train de poser  quand il a reçu une balle, probablement d’un tireur isolé. Une version qui n'a pas été véritablement remise en cause. Isabel Hilton décrit avec justesse dans son article du The Guardian le 27 septembre 2008 le ressenti profond de Capa à ce propos. " Capa était un grand photographe mais il n'hésitait pas à faire semblant. Il a dit au photographe de Life Hansel Mieth que la photo de Federico Borell Garcia avaient été prise pas dans le feu de l'action comme on l'avait cru mais pendant que les miliciens faisaient une pause et s'amusaient. Alors que le milicien se levait pour poser, il aurait été abattu de plein fouet par le tir d'un sniper. Capa en aurai été affecté jusqu'à la fin de sa vie. La photo qui "tue" en quelque sorte. 

Harry Kampianne